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Agrifarmart Haïti, c’est le nom de l’entreprise que vous devez garder en tête. Etienne Pierre Maillard, c’est la matière grise derrière ce projet. En pleine pandémie, Maillard et ses camarades ne se sont pas laissés confiner; ils se sont mis au travail pour lancer une entreprise de production qui va alimenter le marché local en poules, œufs, sorgho, et art. Vous vous demandez sûrement ce que l’art vient faire ici? Curieux comme vous, c’est la première question.
Depuis plusieurs décennies, des voix se sont élevés pour tirer la sonnette d’alarme sur les effets néfastes de l’importation sur l’élevage industriel de volailles, et la nécessité de re-dynamiser tout le secteur, mais l’État haitien, sans surprise, a fait la sourde oreille; du moins, jusqu’ici parce qu’il n’est jamais trop tard pour se rattraper. Nous avons rencontré l’une des têtes pensantes du projet, Etienne Pierre Maillard, pour nous parler des initiatives en cours et à venir.
Cette entrevue a été éditée pour des motifs de clarté.
Nous savons qu’Agrifarmart est la combinaison de trois domaines différents : agriculture, ferme et art. Racontez-nous l’histoire de cette entreprise ? Quel est le lien direct entre artistique et les deux autres domaines?
Je suis artiste-peintre; j’aime peindre les beautés de la nature en créant et en innovant des œuvres qui peuvent convaincre les gens. Quand j’ai quitté la ville de Jérémie pour m’installer à Port-au-Prince, la capitale haïtienne, à l’âge de quatre ans pour des raisons de santé (maladie chronique), j’ai été reçu par un oncle-peintre duquel j’ai appris les balbutiements de la peinture.
En 2013, l’État haitien m’a octroyé une bourse d’études pour étudier les sciences agronomiques à l’Université Épiscopale d’Haïti (UNEPH) après avoir donné un œuvre d’art en cadeau. À l’université, j’ai vite constaté le taux de chômage très élevé chez les agronomes déjà sur le terrain, et j’ai voulu agir, très vite. Je pensais que la création d’entreprise pourrait être une pilule à ce chômage. C’est ainsi qu’en 2017, après avoir été bénévole dans plusieurs entreprises, je me suis lancé dans l’élevage de poissons tilapia en cuve, tout en saisissant l’opportunité de la nappe phréatique de la Plaine Cul-de-Sac (localité de Duvivier, commune de Tabarre).
En 2019, accompagné de trois de mes camarades, j’ai postulé à l’appel de recrutement de la première cohorte de bénéficiaires du programme Réseau Solidaire d’Accompagnement à la Création d’Entreprises (RéSACE) de l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF) dans la Caraïbe avec un projet de production de sorgho sucré dans le département de la Grand’Anse où cette culture est en chute libre. À ce moment-là, je quittais Port-au-Prince pour retourner dans ma ville natale et gérer mon entreprise. En arrivant en 2020, j’ai constaté une baisse dans la production de volaille sur le marché régional, une rareté survenue après la disparition de la plus grande ferme avicole du département de la Grand’Anse. En plein Covid-19, deux autres partenaires et moi se sont lancés dans l’élevage des poules avec l’objectif de permettre l’accessibilité et disponibilité des poules, des poussins et des œufs sur le marché grand’anselais par la reproduction. C’est alors que le nom Agrifarmart Haïti a fait son apparition en tenant compte des investissements dans l’entrepreneuriat, l’agriculture, l’élevage et l’art.
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Combien de pondeuses disposez-vous actuellement dans votre poulailler? Faites-vous de l’élevage en cage ou en plein air ? Qu’en est-il du sas sanitaire; les douches peuvent-elles contenir toute cette population ?
Notre capacité de production est de 1000 pondeuses; cela veut dire que la capacité d’obtention du poulailler peut aller jusqu’à 1000 pondeuses, mais nous n’avons que 300 pondeuses (poules mixte œuf à la fois chair) qui fécondent pas mal d’oeufs, d’une part, qu’on les met dans l’incubateur pour la reproduction des poussins; et d’autre part, pour alimenter d’autres éleveurs pour la reproduction des poussins et satisfaire la demande de clients spécifiques pour la consommation familiale.
On est d’accord que l’aviculture est un facteur clé de développement économique. Mais quand un pays comme Haïti importe chaque jour de la République Dominicaine près de 1.000.000 d’œufs de table, l’équivalent de 1.000.000 de poulets de chair par mois des Etats-Unis (d’après l’Unité de Statistique Agricole et Informatique –USAI, organe du ministère de l’Agriculture, des Ressources Naturelles et du Développement Rural-MARNDR), comment une jeune entreprise comme Agrifarmart arrive à sortir la tête de l’eau ?
Quand nous avons lancé l’entreprise en 2020 avec une faible capacité de 200 poulets de chair, le constat c’était que 99 % des poussins du marché national viennent de l’extérieur. Ce qui est aussi à considérer c’est le prix exorbitant et la mortalité précoce des poussins au cours du trajet parce que c’est très long et cela prend parfois des jours ou semaines. Ce qui fait que 15 jours après leur arrivée, le taux de mortalité varie entre 15 à 30 %, suivi du stress, et de la fatigue de ses poussins. Comment faire du profit avec un aliment ou un produit toujours à la hausse et la concurrence des morceaux de poulet découpés et réfrigérés? Pour contourner ces obstacles, Agrifarmart produit une race de poule pondeuse mixte qui est une race élevée pour la ponte des œufs fécondés. Sa chair est similaire à celle des poulets de chair blanche. Cet investissement nous permettra d’alimenter le marché local et de réduire l’importation qui coûte beaucoup pour peu de revenus, parfois.
Vous êtes basés dans le Grand Sud et l’accès à la capitale, Port-au-Prince, qui constitue le plus grand marché est coupé depuis des lustres, suite aux affrontements de groupes armés. Comment faites-vous pour exporter vos cargos ? Quel est l’état du marché actuel ?
Le marché d’écoulement des produits est le marché régional, les Cayes en majorité. En ce qui concerne l’acquisition de stocks, depuis l’avènement du mouvement “pays lock” et l’insécurité sur la route de Martissant, c’est une casquette chinoise pour acquérir les matières premières et faire venir les matériels et les équipements à Jérémie, capitale du département de la Grand’Anse. Pour surmonter les obstacles, on fait appel à des nouveaux fournisseurs dans les communes avoisinantes, tels que les Cayes, Miragoâne et Gressier.
C’est un secteur qui offre beaucoup d’opportunités. Pas mal d’éleveurs veulent se lancer dans le domaine mais se trouvent bloqués par faute de trouver des poussins de qualité accessible. Quand on les trouve, ils n’ont pas passé la phase du contrôle de qualité qui représente l’une des plus importantes étapes ou le trajet les a déjà fatigués. La bonne nouvelle c’est qu’il n’y a pas mal de consommateurs qui voudraient acheter du poulet vif pour la consommation familiale, et la commercialisation. C’est dans ce contexte que je produit des pondeuses mixtes (races de poules pour œuf et chair) surtout que j’avais la chance d’obtenir un incubateur pour la couveuse des œufs pour la reproduction des poussins de meilleur qualité pour que je n’achète plus de poussins provenant de la République Dominicaine pour répondre aux besoins de la communauté.
Vous vous investissez également dans la production et la transformation de sorgho grain sucré en semoule. Quelle variété possédez-vous ? Combien de tonnes métriques de sorgho cultivez-vous annuellement ?
Les variétés sont (papè pichon, Dekabès et papè sèk). Malheureusement, nous ne disposons pas d’un si grand espace pour augmenter la production. Cela aussi nécessite une main d’œuvre importante, et des matériels agricoles. Malgré tout, on cultive 800 à 1000 kg par an. C’est également un produit avec des atouts importants contre le changement climatique parce qu’il est résistant à la sécheresse, mais nous ne pouvons pas en profiter pleinement à cause d’un manque de matériel agricole.
Quels sont vos conseils pour les futurs entrepreneurs dans votre domaine en particulier, et dans le pays en général?
Pour ceux qui ont déjà démarré une activité, il ne faut pas perdre confiance malgré les difficultés! Avec une vision claire, des objectifs bien définis, votre mission, vos plans stratégiques, les ressources disponibles, vous êtes à tout prix sur le chemin du succès. Ceux qui ont l’intention de se lancer, faites confiance à vos idées parce que vous êtes la seule personne qui les connaissent; commencez avec le peu que vous disposez parce que vous ne trouverez jamais la totalité des ressources pour vous lancer.
Entrevue réalisée et éditée par Websder Corneille, et la rédaction de Ted’Actu.
Note de l’éditeur
Pour lancer et maintenir ses opérations, l’entreprise Agrifarmart Haïti a reçu un appui financier de la part de l’Institut de la Francophonie pour le développement durable (IFDD), la Direction Caraïbe de l’Agence Universitaire de la Francophonie, le Konsèy Nasyonal Finansman Popilè (KNFP), et Hope for Haïti (par le biais du Centre Haïtien du Leadership et de L’Excellence).
Ce portrait a été réalisé dans la série sur les « Jeunes acteurs francophones du changement positif en Haïti », dirigée par Ted’Actu et réalisée avec le soutien de l’Institut de la Francophonie pour le développement durable (IFDD), organe subsidiaire de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) ».