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À côté de l’insécurité qui a fauché la vie de plus de 1,500 personnes en Haïti au cours des trois derniers mois (selon les dernières estimations des Nations Unies) et la crise économique, une autre crise qui s’abat sur le pays est le changement climatique. La fréquence des inondations et des séismes au cours de ces deux dernières décennies, la bombe à retardement El Niño invitent à la prudence et à la réflexion. S’il y a une seule frange de la population qui se ne sente pas indifférente à cet état d’alerte, c’est la jeunesse haïtienne.
Avec le peu de moyen dont elle dispose, elle organise des ateliers éducatifs, anime des émissions radiophoniques, pratique le démarchage à domicile pour attirer l’attention des autorités étatiques et les organismes de la société civile sur la nécessité d’adopter des mesures innovantes et inspirantes pour contrecarrer les effets néfastes du climat, et renforcer la durabilité de la production agricole du pays. C’est le cas du Centre Éducatif pour le Développement Durable et l’épanouissement de l’agriculture (CEDDEA), une jeune entreprise haïtienne qui a, récemment, lancé le produit Konpòs An Nou (Notre compost).
Nous avons rencontré John Milton Volmar, son cofondateur, pour une plongée dans l’histoire passionnante derrière l’entreprise, le projet de compostage, et le coût d’être un jeune entrepreneur en Haïti.
Cette entrevue a été éditée pour des motifs de clarté.
Le CEDDEA est une entreprise spécialisée dans la gestion et la valorisation des déchets pour la production et la commercialisation de compost. Pouvez-vous nous faire une historicité du projet ? Pourquoi la commune de Saint-Raphaël est la cible principale ?
L’initiative de créer un centre de production et de commercialisation de compost à Saint-Raphaël prend naissance après avoir suivi le cours “Comprendre et analyser les enjeux et les actions du développement durable” à l’Université Senghor. Ce cours m’a sensibilisé aux enjeux environnementaux, notamment à la gestion des déchets organiques et à l’importance du compostage.
L’initiative est un peu renforcée avec le constat de l’incapacité flagrante de la Mairie de la ville de Saint-Raphaël [NDLR, commune située dans le Nord d’Haïti) à gérer les déchets, ainsi qu’à renforcer l’accès et diminuer le coût des engrais. De là, vient l’idée de proposer une alternative en produisant un fertilisant sur place, moins coûteux et biologique. Ce qui nous permettra, d’une part, de répondre au pouvoir d’achat des consommateurs et, d’autre part, de rendre la ville plus propre en gérant les déchets ménagers et les résidus des récoltes.
La commune de Saint-Raphaël, étant une zone où l’agriculture est l’activité dominante, est confrontée à une forte demande en fertilisants, en particulier en raison de la culture prédominante des espèces légumières et de la riziculture. Cette demande est accentuée par la rareté des engrais synthétiques sur le marché local, ce qui a entraîné une augmentation significative des prix au fil des années. Selon les résultats d’une enquête menée en 2021 par le Centre, le prix d’un sac de 50 kg d’engrais est passé de 2000 (équivalent de 20,2 USD) HTG en 2016 à 8 000 HTG (équivalent de 60,2 USD) en 2022.
Si nous comprenons bien, l’alternative c’est l’entreprise de compostage locale ?
Face à cette hausse des prix et à l’augmentation de la demande de fertilisants, l’entreprise CEDDEA a mis sur le marché le produit organique Konpòs An Nou (Notre compost) comme alternative aux engrais synthétiques. KAP vise à répondre aux besoins des agriculteurs en fournissant un engrais organique de qualité, produit localement à partir de déchets organiques. En offrant une solution abordable et respectueuse de l’environnement, l’entreprise contribue à soutenir l’agriculture locale tout en promouvant des pratiques agricoles durables.
Cette initiative représente une opportunité prometteuse pour les agriculteurs de Saint-Raphaël, qui peuvent ainsi bénéficier d’un approvisionnement en fertilisants plus stable et à des prix plus abordables, tout en réduisant leur dépendance aux engrais synthétiques. En outre, elle contribue également à la gestion des déchets organiques en les valorisant dans le processus de compostage, ce qui présente des avantages supplémentaires pour l’environnement et la santé publique.
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Quelles sont les réglementations régissant la production d’engrais organiques dans le pays ? À l’heure actuelle, combien de kg de composts avez-vous déjà mis en circulation ? Pour une jeune entreprise, à combien estimez-vous les coûts de démarrage ?
En Haïti, la production d’engrais organiques est réglementée par plusieurs lois, décrets et normes visant à garantir la qualité des produits et à protéger l’environnement. Par exemple, le décret du 3 mars 1981 qui est le plus significatif, crée une loi cadre régissant la gestion et l’élimination des déchets prévoyant en même temps les sanctions appropriées.
Les coûts de démarrage pour une jeune entreprise de compostage peuvent varier en fonction de divers facteurs, notamment la taille de l’entreprise, la région géographique, les installations nécessaires, les équipements, les matériaux et la main-d’œuvre. Voilà pourquoi il est difficile de donner un chiffre exact pour les coûts de démarrage d’une entreprise de compostage, car ils peuvent varier considérablement en fonction des facteurs susmentionnés. Cependant, pour une petite entreprise de compostage, les coûts de démarrage peuvent généralement se situer entre quelques milliers à quelques dizaines de milliers de dollars, tandis que pour une entreprise plus grande et plus complexe, les coûts pourraient atteindre plusieurs centaines de milliers de dollars, voire plus. Une analyse de rentabilité et un plan d’affaires solide sont essentiels pour évaluer avec précision les coûts de démarrage et planifier le financement nécessaire.
Parmi les bénéfices de ce projet pour la communauté, vous comptez un “environnement viable, une agriculture durable et des solutions innovantes à la lutte contre le changement climatique”. Pour un pays en proie à des aléas naturels de toute sorte, des déchets aux toits des maisons, comment rassurer la population que ce projet tiendra ces promesses ? Éclairons-nous un peu sur le processus à mettre en place pour vous assurer de la durabilité de ce projet ?
La pérennisation du projet passera par la collecte régulière des déchets; le renforcement de la stratégie de communication pour renforcer la clientèle; une enquête de satisfaction et d’amélioration progressive des services ; l’assurance que les conditions environnementales soient respectées afin de garantir une production responsable ; le suivi journalier des activités du projet ; la remise des rapports de suivi dans activités (reçu des transactions, photo, vidéo).
Pour passer des déchets organiques et résidus végétaux au compost, l’entreprise s’opérera ainsi: collecter des matières organiques; préparer les matériaux; créer des tas ou fosse de compost; contrôler l’humidité, etc.
Quels sont les plus grands obstacles pour un projet de la sorte ? Qu’est ce-ce qui anime encore l’équipe pour tenir bon malgré cette crise ?
Le manque d’équipements de bureau et de transport (par exemple des équipements de bureau), des ressources financières limitées sont parmi les plus grands obstacles à la réussite du projet. Pour s’y prendre, le CEDDEA compte sur le recrutement et la gestion des ressources humaines, un climat de travail productif. Au sein de l’équipe, nous nous efforcerons d’établir un climat organisationnel basé sur la communication, les normes de sécurité et le respect des valeurs de l’entreprise. L’idéal est que chacun employé se sent chez soi et se réjouit de faire partie de l’effectif du CEDDEA bien que le travail ait son côté de pénibilité. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour créer un environnement de travail sain et agréable où les droits de tout le monde sont respectés sans aucun préjugé, ni non plus de discrimination.
Que rêvez-vous de plus dans ce pays ? Comment voyez-vous l’avenir ?
Je rêve de voir un engagement plus large de la part des autorités gouvernementales, des entreprises privées, des organisations de la société civile et de la population en général en Haïti pour promouvoir le développement durable, la protection de l’environnement et l’amélioration des conditions de vie pour tous les citoyens. Je suis optimiste quant aux possibilités de progrès et de transformation en Haïti. Avec un engagement accru en faveur du développement durable, de la coopération internationale, et de l’innovation, je crois fermement que le pays peut surmonter les défis actuels et ouvrir la voie à un avenir plus prospère, équitable et écologiquement sain pour tous ses citoyens.
Quelques dates marquantes
- En 2021, le CEDDEA a bénéficié du soutien de l’Institut de la Francophonie pour le développement durable (IFDD) et de la contribution financière de l’Union Européenne dans le cadre de son projet d’appui pour la participation et l’action de la jeunesse haïtienne en faveur de ;’environnement et du développement durable.
- En 2023, le CEDDEA a été sélectionné parmi les 20 entreprises du PIGRAN Incubateur pour un accompagnement de 12 mois de formation.
- En 2023, le CEDDEA a été retenu pour Programme d’incubation d’Entrepreneuriat Social PES Haïti.
- En 2023, le CEDDEA fait partie des 85 projets sélectionnés par Haïti Efficace et sponsorisé par la Banque de la République d’ Haïti (BRH), ce projet qui est en cours d’exécution.
Entrevue réalisée et éditée par l’équipe de la rédaction de Ted’Actu.
Dirigée par la plateforme Ted’Actu, cette série sur les « Jeunes acteurs francophones du changement positif en Haïti » est réalisée avec le soutien de l’Institut de la Francophonie pour le développement durable (IFDD), organe subsidiaire de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) ».