La fracture numérique entre les genres constitue un enjeu majeur pour le développement inclusif. En 2021, l’UNESCO estime à 28 % les femmes diplômées en ingénierie, et à 40 % les diplômées en informatique. Comment réduire cette fracture, et faire bouger les lignes dans une direction plus équitable?
En Haïti, la plateforme Numédia attachée à l’École Supérieure d’Infotronique d’Haïti (ESIH), se pose la question, et essaie d’y apporter des éléments de réponse. Pilotée par Stevens Montissol, étudiant à l’ESIH, et coordonnateur Général du Centre d’Employabilité Francophone de Port-au-Prince de l’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF), l’équipe a mis sur pied l’initiative E-WOMEN qui vise à doter les femmes de compétences et ressources nécessaires pour s’attaquer à ladite fracture numérique.
Nous avons rencontré Stevens Montissol, CEO de Numédia, pour nous parler de cette initiative qui a été présentée pour la première fois, en 2023, au Congrès international de la jeunesse estudiantine francophone de l’AUF à Québec.
L’entrevue a été éditée pour des motifs de clarté.
TA: Vous dirigez un projet qui soutient l’accélération de la parité pour les femmes dans le monde du numérique. Quels sont les problèmes auxquels les femmes font face dans ce que l’on appelle la “transition numérique”?
Aujourd’hui, les femmes sont confrontées à un manque d’accès à l’éducation et à la formation dans les domaines technologiques, à une sous-représentation dans les postes de direction et de prise de décision dans les entreprises technologiques, ainsi qu’à des stéréotypes de genre qui limitent les opportunités pour les femmes dans le domaine numérique (UNESCO rappelle que les femmes continuent de subir des préjugés sexistes sur le marché de l’emploi, NDLR).
Ainsi, pour apporter notre petite pierre à l’édifice, nous avons conçu le projet E-WOMEN qui vise à promouvoir l’émancipation et l’inclusion des femmes dans le secteur du numérique en Haïti, et dans la Caraïbe en général. Le projet prévoit des séances de formation et d’accompagnement pour des jeunes femmes âgées de 18 à 35 ans, et partager avec elles des ressources qui leur permettront d’exceller dans ce secteur en constante évolution grâce à la formation et à l’accompagnement.
TA: Quelles sont les éléments de solutions que vous proposez?
SM: Les solutions peuvent inclure la mise en place de programmes de formation comme E-WOMEN, et de mentorat spécifiquement conçus pour les femmes; la création de politiques d’embauche et de promotion favorisant l’égalité des chances, ainsi que la sensibilisation et la lutte contre les stéréotypes de genre dans le secteur technologique.
Lire Patrick Saint-Pré, un acteur du changement et du développement durable en Haïti
Il est également crucial d’établir des politiques publiques visant à favoriser cette inclusion à tous les niveaux, en mettant l’accent sur l’accès équitable à l’éducation et à la formation, la création d’incitations pour les entreprises qui promeuvent la diversité et l’égalité des chances, ainsi que la promotion de modèles de réussite féminins dans le domaine du numérique.
TA: En quoi la technologie peut-être un atout pour le développement durable en Haïti? Comment en profiter pleinement?
SM: La technologie peut être utilisée pour améliorer l’accès à l’éducation et à la santé, en fournissant des services en ligne et des outils d’apprentissage numériques. Cela permettrait de combler les lacunes dans les infrastructures traditionnelles.
Par ailleurs, les technologies agricoles intelligentes peuvent être déployées pour augmenter la productivité agricole, améliorer la gestion des ressources naturelles et favoriser la résilience aux changements climatiques. Des solutions telles que l’agriculture de précision, les drones agricoles et les applications mobiles peuvent aider les agriculteurs à prendre des décisions éclairées et à optimiser l’utilisation des terres et de l’eau.
Pour qu’un pays profite pleinement de telles opportunités, il est essentiel d’investir dans l’infrastructure technologique de base, de renforcer les compétences numériques et de promouvoir l’innovation locale. Les partenariats public-privé peuvent jouer un rôle clé dans le financement et le déploiement de ces technologies, en veillant à ce qu’elles bénéficient à toutes les couches de la société et contribuent à un développement durable et inclusif.
TA: Avec les crises actuelles en Haïti, pensez-vous que la technologie peut être un outil participatif dans la résolution? Si oui, comment?
SM: Oui, la technologie peut jouer un rôle crucial dans la résolution des crises actuelles en Haïti. Par exemple, elle peut contribuer à l’amélioration de la transparence et la responsabilité dans la gestion des ressources publiques en permettant le suivi et la traçabilité des fonds et des biens publics. Les systèmes de gestion électronique des finances publiques peuvent aider à prévenir la corruption et les détournements de fonds en rendant les transactions financières plus transparentes et en facilitant l’audit et la vérification des dépenses.
La technologie peut, également, être un outil efficace pour le renforcement de la résilience économique et sociale en facilitant le développement communautaire et l’autonomisation des populations locales. Ainsi, les plateformes de microfinance en ligne peuvent permettre aux entrepreneurs et aux petites entreprises d’accéder à des financements et à des ressources financières pour développer leurs activités. De même, les applications mobiles et les outils numériques peuvent être utilisés pour fournir des services de santé, d’éducation et de formation professionnelle dans les communautés les plus vulnérables, renforçant ainsi leur capacité à faire face aux crises et à reconstruire leur avenir.
Lire Haïti, des jeunes lancent une entreprise de production pour réduire l’importation
TA: Comment voyez-vous l’avenir de ce pays pour des jeunes comme vous?
SM: En tant que jeune leader, je perçois l’avenir de notre pays avec optimisme, mais aussi avec un sens de responsabilité et d’engagement pour le progrès et le développement durable. Dans mon champ de vision, je conçois l’avenir des jeunes dans le pays à travers les trois pistes suivantes :
- Éducation de qualité : Je crois fermement que l’éducation est la clé pour libérer le potentiel des jeunes et ouvrir des opportunités illimitées. Je souhaite voir un système éducatif inclusif, accessible à tous, axé sur le développement des compétences du 21e siècle telles que la pensée critique, la résolution de problèmes et la créativité;
- Innovation technologique : Je suis convaincu que la technologie peut être un moteur de changement et de progrès pour notre pays. Je souhaite voir un écosystème technologique dynamique émerger, soutenant l’entrepreneuriat, l’innovation sociale et la résolution des défis locaux;
- Emploi et entrepreneuriat : Je rêve d’un marché du travail florissant, offrant des opportunités d’emploi décentes et valorisantes pour les jeunes. Je souhaite encourager l’entrepreneuriat et la création d’entreprises innovantes qui contribuent à la croissance économique et à la création d’emplois durables.
Je vois l’avenir de notre pays comme une opportunité de transformation positive, où les jeunes jouent un rôle central dans la construction d’une société plus juste, plus prospère et plus durable. Je suis optimiste quant à notre capacité à surmonter les défis actuels et à créer un avenir meilleur pour tous.
Entrevue réalisée et éditée par Websder Corneille et la rédaction de Ted’Actu.
Dirigée par la plateforme Ted’Actu, cette série sur les « Jeunes acteurs francophones du changement positif en Haïti » est réalisée avec le soutien de l’Institut de la Francophonie pour le développement durable (IFDD), organe subsidiaire de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) ».