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Le fameux programme « Humanitarian Parole » mis en œuvre par l’administration Biden fait des heureux en Haïti depuis le début de son implémentation en janvier dernier. Il ne suffit que de recevoir son email d’approbation pour ensuite faire sa réservation de voyage, faire ses bagages et s’envoler vers l’El Dorado. Toutefois, le programme met aussi en évidence le niveau de méfiance de l’haïtien vis-à-vis de son prochain.
« Depi nan ginen nèg rayi nèg ». Qui ne connaît pas cet adage transmis de génération en génération pour justifier un manque de confiance dans l’être haïtien. Nos parents nous ont tous exhorté au moins une fois de notre vie à ne pas faire confiance à l’autre. « Pa manje nan men moun pou yo pa manje w ».
Grâce à ce programme de l’administration américaine, avec la confirmation ou « l’approval » comme le terme le plus commun, c’est l’espoir d’un renouveau, d’une nouvelle vie qui s’annonce pour les immigrants haïtiens en passe de fouler le sol américain. Les nuits sont devenues plus longues et les journées interminables à force d’être impatient de non seulement pouvoir faire ses adieux à Haïti mais aussi de s’assurer de sauver sa peau à temps.
« Quand j’ai reçu cet email de confirmation, j’ai pleuré de joie. Même moi, je ne savais pas ce qui m’avait pris », nous confie Samantha qui a reçu son email de confirmation après plus de 95 jours d’attente.
Et la superstition s’invite…
Une fois inscrit dans le programme, certains bénéficiaires préfèrent rester discrets jusqu’à leur arrivée aux États-Unis pour des raisons « de sécurité ». Ils ont préféré mettre leurs proches, amis ou collègues, au courant de leur départ, une fois arrivés à destination. D’autres ont juste disparu des radars, comme portés disparus sans aucune nouvelle.
« Mes parents avaient peur que mes proches me fassent du mal. Ils m’ont interdit d’annoncer la nouvelle à mes proches. Ils m’ont même interdit de déambuler dans les rues de Port-au-Prince », confie Samantha qui cherche maintenant à s’acclimater en Floride.
Le fétichisme a toujours fait partie intégrante de la vie des Haïtiens. Des pratiques comme « kout poud, lamen monte » ou même l’usage de la zombification ont entravé depuis des siècles des saines relations entachées progressivement par l’hypocrisie et la méfiance. Ainsi, personne ne voudrait rater son voyage pour des raisons liées á la sorcellerie.
Ce programme, pour plus d’un, est considéré comme la manne tombée du ciel, une pure bénédiction, un véritable plancher du salut, dans un contexte où les conditions d’existence sont de plus en plus difficiles en Haïti. En ce sens, le bénéficiaire, à tort ou à raison, décide de jouer pieds et mains pour ne pas laisser sa peau dans un pays où la mort guette le quotidien de ses citoyens. Et pour cause, le nouvel approuvé vit ses derniers instants en Haïti avec la peur au ventre, le sentiment que le cataclysme est proche et le risque qu’un proche ou autre puisse entraver son départ.
Une fois approuvé, le père de Jonas, un élève de 17 ans au Collège Canado-Haïtien décide de ne plus envoyer son fils à l’école. Fred dit craindre qu’un malheur ne lui arrive ou que son voyage soit avorté pour des raisons ne dépendant pas de sa volonté. « Imagine qu’on sent qu’on est tout près du but et qu’en sortant dans la rue, il lui arrive du mal ? Jamais, je ne me pardonnerais cela. Je préfère qu’il continue sa scolarité aux USA », explique-t-il.
Soulignons que cela a toujours été dans la pensée haïtienne, de ne pas révéler au grand jour une promotion, l’obtention d’un boulot ou un voyage vers l’étranger. Dans l’attente de leur voyage, quoiqu’étant certaines fois les seuls à être au courant, des bénéficiaires sont attentifs à tout, même à des changements dans leurs corps, question de s’assurer de ne pas être victimes d’un mauvais sort.
« Mwen, menm dlo m pè bwè poum pa trangle », confie de façon ludique Jessica au bout du fil. Elle attend son email depuis plus de 100 jours.
Jessica confie ne pas avoir pris le soin de démissionner de son travail pour ne pas éveiller des soupçons sur son éventuel voyage. « Une fois à New York, j’enverrai ma lettre de démission » nous-a-t-elle fait savoir.
De l’avis des spécialistes
« En Haïti, il n’y a pas une classe qui n’est pas traversée par la superstition. Des gens les plus aisés aux plus pauvres, des fins intellectuels aux plus analphabètes », a martelé la psychiatre Ghislaine Adrien citée dans un article de Ayibopost qui souligne que même les religieux croient dans la superstition.
« Cette réaction est dûe à la situation générale du pays », selon le sociologue Zacharie Claude qui évoque les risques de kidnapping et d’homicide pour étayer son point de vue.
Dans une entrevue à la rédaction, le spécialiste indique que les haïtiens confirmés dans le Programme Biden auront toujours tendance à jouer la carte de la prudence en raison notamment de la situation sécuritaire du pays.
Selon un rapport de l’ONU, entre le 1er janvier et le 31 mars, le nombre d’homicides signalés a augmenté dans le pays de 21% par rapport au précédent trimestre (815 contre 673), et le nombre d’enlèvements de 63% (637 contre 391). Seulement à Cité-Soleil, selon le communiqué, entre le 14 et le 19 avril, des affrontements entre gangs rivaux ont fait près de 70 morts dans la population, dont 18 femmes et au moins deux mineurs.
Superstition ou pas, le programme Biden suit son petit bonhomme de chemin. Environ une centaine de citoyens haïtiens partent quotidiennement vivre le rêve américain depuis le début du programme. Entre-temps les yeux sont déjà rivés sur le 15 juin, date marquant le début du procès intenté par 20 États pour la plupart dirigés par des élus républicains, réclamant la fin du Programme.