
L’Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC) a levé le voile, ce jeudi 8 mai, sur un vaste réseau de fraude au sein de la Direction de l’Immigration et de l’Émigration (DIE). Le rapport révèle un système bien rodé de production illégale de passeports, impliquant des agents publics, des comptes fictifs et des pertes massives pour le Trésor public. Au cœur du scandale : l’ex-directeur de la DIE, Stéphane Vincent.
Tout a commencé début 2025, avec des révélations sur les réseaux sociaux. Un compte fictif aurait été utilisé au sein de la DIE pour émettre des passeports sans que les frais fiscaux ne soient versés à la Direction Générale des Impôts (DGI). Alerté, le directeur général de l’ULCC, Hans Jacques Ludwig Joseph, a lancé une enquête.
L’investigation a porté sur 736 dossiers de demande de passeport, enregistrés entre septembre et décembre 2024. Objectifs : établir les faits, identifier les responsables et évaluer les pertes pour l’État.
Parmi les personnes entendues figurent Antoine Jean Simon Fénélon (directeur actuel de la DIE), Jean Osselin Lambert (directeur des TIC), Stéphane Vincent (ancien directeur), ainsi que plusieurs responsables et agents des centres de réception de documents (CRLDI) de Pétion-Ville et de la SONAPI.
Les résultats sont accablants : entre le 23 septembre et le 25 novembre 2024, en pleine grève de la DGI, 34 570 demandes de passeports ont été enregistrées. Sur les 736 dossiers analysés, 556 passeports ont été délivrés sans paiement des timbres fiscaux, soit un manque à gagner de 3 656 000 gourdes.
Selon l’ULCC, un compte suspect nommé « Fernando Victor » a été créé le 10 octobre 2024 à 3 h 54 du matin, à partir du compte utilisateur de Stéphane Vincent. Ce compte, doté de privilèges d’administration, a traité à lui seul les 736 dossiers frauduleux.
Stéphane Vincent a nié tout lien avec ce compte, affirmant ne pas connaître son titulaire. Pourtant, les enquêteurs ont établi qu’il avait été créé avec ses identifiants.
Quatre types d’irrégularités majeures ont été relevés :
– Absence totale de droit de passeport dans certains dossiers ;
– Non-intégration du NIF ;
– Réutilisation d’un même droit de timbre pour plusieurs dossiers ;
– Incohérences entre bordereaux de paiement et reçus de caisse.
L’enquête a également révélé que « Fernando Victor » n’existe ni dans les bases de données de l’ONI ni parmi le personnel de l’État. Son NIF appartient en réalité à un certain Laurent Mardoché. Impossible de retracer son identité réelle.
Ce compte fictif a permis la fabrication de centaines de passeports frauduleux, notamment depuis les ordinateurs identifiés PPO51, PPO54, PPO55, PPO57, PPO59 et PVO01. L’ULCC accuse également Lesly Saint Juste, Rubens Pauleon et Marriantha Merone, en poste dans les centres CRLDI, d’avoir facilité l’opération.
Le rapport dénonce une opération de détournement minutieusement orchestrée, sous la houlette de Stéphane Vincent, visant à détourner plusieurs millions de gourdes au détriment de l’État.
L’ULCC recommande :
Sur le plan administratif : un audit financier et informatique complet de la DIE, et un accès en temps réel de la DIE au portail de la DGI pour authentifier les paiements.
Sur le plan pénal : l’ouverture de poursuites contre Stéphane Vincent, Lesly Saint Juste, Rubens Pauleon et Marriantha Merone, pour abus de fonction, détournement de biens publics et association de malfaiteurs.
Ce rapport explosif jette une lumière crue sur les pratiques de corruption au sein de l’administration publique. Désormais dans l’œil du cyclone, Stéphane Vincent et ses présumés complices devront répondre de leurs actes devant la justice.
DD