Une visite à Paris en 2015 a ouvert les yeux de Patrick Saint-Pré sur la vulnérabilité de son pays, Haïti, face aux aléas climatiques. Depuis, il a pris son bâton de pèlerin pour alerter le reste du pays de la nécessité d’appliquer des mesures durables et prospères. Un an plus tard, en 2016, il a fondé l’association Action pour le Climat, l’Environnement et le Développement Durable (ACLEDD) pour sensibiliser ses compatriotes sur les effets liés aux changements climatiques, et les stratégies à mettre en œuvre pour s’y prendre.
En 2020, la reconnaissance internationale a déjà frappé à sa porte. La plateforme multimédia Haïti Climat, fondée par ACLEDD en 2018, a reçu le Prix francophone de l’innovation dans les médias, décerné par l’OIF, RFI et RSF. Son programme consacré aux enjeux environnementaux, encourage le public haïtien à instaurer de bonnes pratiques en matière d’écologie et d’agriculture intelligente.
Journaliste couvrant l’actualité économique au Nouvelliste – le plus ancien quotidien d’Haïti, fondé en 1898 – depuis environ une dizaine d’années, Patrick Saint-Pré s’assoie fièrement à la table de ceux qui ont contribué à l’impulsion de la conversation sur le changement climatique dans le pays. Il y procède à travers des offres de formation, des émissions radiophoniques ainsi que le « Prix de la médaille verte » attribué aux personnalités s’engageant pour la préservation de l’écologie et de la biodiversité en Haïti.
D’où provient cette volonté de vous lancer dans la lutte pour la protection de l’environnement ? Quel a été votre déclic ?
Le déclic a eu lieu un jour de décembre 2015 dans l’avion me ramenant au pays à l’issue de ma participation à la COP21 à Paris où j’ai été le seul journaliste haïtien témoin de la signature de l’Accord de Paris. Sur place, j’ai appris qu’Haïti fait partie des trois pays au monde les plus vulnérables au changement climatique. Tout journaliste que j’étais, je n’en savais rien. Et, sans nul doute, c’était aussi le cas pour pas mal de collègues et de confrères. Dès l’instant, je me sentais investi d’une mission : mettre sur pied une association.
De là, a pris naissance ACLEDD – Action pour le Climat, l’Environnement et le Développement Durable, avec pour vocation de réduire l’asymétrie en matière d’information sur les changements climatiques à travers des séances de formation pour les journalistes et le financement de reportages sur le changement climatique. On ne s’est pas trop mal tiré, vu que nous avions participé à la création du premier réseau de journalistes écologiques et climatiques, et créé la plateforme multimédia Haïti Climat en 2018.
« Haïti Climat », le fruit de l’innovation
Vous aviez créé la plateforme « Haïti Climat” » en 2018. Que vouliez-vous exprimer à travers cette initiative ?
Je pense que notre slogan « Il est temps de passer au vert ! » résume assez bien notre message. Notre pays est champion des rendez-vous manqués : la révolution agricole, la révolution Industrielle, la révolution numérique, les Objectifs du Millénaire pour le Développement… Nous ne pouvons pas nous offrir le luxe de rater le cycle des ODD et l’agenda 2030. Nous devons nous battre pour ne pas louper le train de la transition énergétique, celui de la transition écologique. Il faut un héraut pour marteler inlassablement à l’oreille de nos dirigeants ces quatre vérités, pour sensibiliser la population sur l’urgence d’agencer notre stratégie nationale sur la feuille de route mondiale.
Haïti Climat est pour l’heure l’unique plateforme multimédia dédiée exclusivement à la production et la diffusion de contenus relatifs à l’environnement et au changement climatique dans le pays. C’est également un savant mélange entre médias traditionnels et médias numériques, à savoir une émission radiophonique hebdomadaire sur Magik 9 du même nom, une chronique mensuelle dans les colonnes du journal Le Nouvelliste, un site web www.haiticlimat.org et une présence sur quasiment tous les réseaux sociaux.
Pensez-vous que l’arrivée d’HC contribué à l’approfondissement de la conversation autour du climat et de développement durable en Haïti ? Si oui, comment ?
Haïti Climat n’a pas mis trop de temps à s’imposer dans le paysage médiatique et à se faire un nom. Le fait d’être un média spécialisé dans la production et la diffusion d’un type de contenus en particulier a beaucoup aidé aussi. L’engouement que témoignent à chaque fois nos annonces de formation et aussi nos appels à propositions pour la production de reportages sur le climat en est la preuve. De plus en plus de professionnels de médias s’intéressent à la conversation autour du climat. Une autre catégorie, et non des moindres, est venue se greffer à la conversation. Il s’agit des étudiants. Ces derniers ont été majoritaires à participer à notre offre de formation complètement en ligne l’année dernière sur la résilience côtière. C’est encourageant. Cela nous pousse à dépasser nos limites pour offrir plus d’options au public de s’informer sur le sujet. Comme en témoigne notre infolettre mensuelle, La Lettre d’Haïti Climat, par exemple.
La lutte pour l’environnement fait beaucoup plus d’adeptes qu’hier
Revenons à l’environnement. Ce n’est pas forcément le sujet qui jouit de la plus grande côte de popularité dans le pays, mais vous y tenez ferme. Pensez-vous que cet engagement finira par payer un jour ?
Ce fut un choix utile, qui découlait d’une volonté de ne pas suivre le courant. Cela vient en partie de mon caractère, quelqu’un qui n’aime pas faire les choses comme tout le monde. Dès mes premiers pas dans le métier de journaliste, j’ai renoncé au vedettariat pour m’adonner à la couverture de sujets moins « sexy » comme l’économie et, maintenant, le l’environnement et le changement climatique. Je demeure convaincu plus que jamais que le paysage médiatique réclame de la diversité. On ne peut pas être tous à la fois analystes politiques ou chroniqueurs sportifs. Il faut bien qu’il y ait quelqu’un pour raconter nos déboires en matière de dégradation environnementale, nos vulnérabilités face aux menaces climatiques ainsi que la promotion des bonnes pratiques écologiques. Il faut de tout pour faire un monde, non ?
Comment comptez-vous vous y prendre pour embarquer plus de personnes dans cette lutte pour la protection de l’environnement ?
En continuant notre travail d’information et de sensibilisation, sans céder aux sirènes du sensationnalisme ni sans être alarmiste. Nous effectuons un travail qui demande beaucoup de rigueur et aussi beaucoup de patience. Nous ne faisons pas qu’informer les gens, nous les formons aussi. C’est un travail de longue haleine dont les gains ne sont pas forcément palpables, tangibles et encore moins spontanés. En peaufinant nos stratégies et en diversifiant nos canaux ainsi que nos offres de contenus, nous finirons par embarquer, comme vous dites, le plus de personnes possibles dans cette lutte pour la protection de l’environnement.
Vous avez pris part à de nombreux sommets internationaux sur le climat (ODD), où l’on discute très souvent Haïti et sa vulnérabilité face aux aléas climatiques. Par rapport aux ODD, quels sont les espoirs pour Haïti avant 2030 ?
Il faut signaler qu’Haïti a pris la décision de prioriser 11 des 17 ODD sous prétexte qu’il lui serait difficile de les atteindre tous. [Pour atteindre l’agenda 2030], il ne faut surtout pas se reposer sur ses lauriers, nous avons un cruel besoin d’être à la hauteur des enjeux. Nous devons fixer un cap national, établir un agenda, un programme et fédérer tout le monde autour. Nous avons gaspillé une belle opportunité que nous offrait le fonds PetroCaribe pour investir durablement dans l’éducation de qualité, la santé, l’agriculture, etc. Mais tout n’est pas perdu pour autant.
Nous avons besoin d’un leadership éclairé à même d’accoucher une vision commune de laquelle découlerait un projet national assorti de politiques publiques bien ficelées. Nous avons besoin de nous ressourcer, de choisir une nouvelle bataille. L’environnement peut créer ce liant, ce ciment qui nous manque comme peuple pour bâtir enfin une nation. Mais, cela ne se fera pas tout seul ni demain la veille aussi. Il faut d’abord construire ce discours, bien prendre soin de l’articuler. Sans oublier les différents mécanismes et fonds qui existent pour financer l’action climatique dans les pays vulnérables comme Haïti. Il nous faut aussi des projets qui tiennent la route et faire montre de sérieux pour en avoir accès. Il s’agit de tout un programme. Avec de la volonté et du savoir-faire, on y arrivera. Pour l’espoir, il y en a toujours, et il en aura certainement.
Quels sont les objectifs fixés pour les prochains jours ?
Les objectifs sont nombreux. Les projets aussi. Pouvoir faire prendre conscience aux décideurs de l’urgence d’agir (contre le déboisement, la pollution, etc.) et d’avoir suffisamment de ressources pour parvenir à matérialiser toutes nos idées de projets. D’autant qu’Haïti Climat est en passe d’explorer d’autres domaines d’intervention. Il y a tant à faire et nos moyens sont si limités !
Quelle place joue le partenariat dans vos actions ?
Haïti Climat entretient de bonnes relations avec les autres organismes existants qui œuvrent dans la promotion et la protection de l’environnement. D’ailleurs, en tant que seule plateforme spécialisée sur le sujet en activité, Haïti Climat assure la visibilité et fait l’écho de toutes initiatives de ces organismes en question en faveur de l’environnement et du climat. Nous avons noué des partenariats solides aptes à garantir la pérennité du projet.
Entrevue réalisée par Widsa Mérisier Payen et la rédaction de Ted’Actu.
Dirigée par la plateforme Ted’Actu, cette série sur les « Jeunes acteurs francophones du changement positif en Haïti » est réalisée avec le soutien de l’Institut de la Francophonie pour le développement durable (IFDD), organe subsidiaire de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) ».