Haïti, République de Pantins
Édito – Le Premier ministre reste en place. Le Conseil présidentiel vacille. Depuis hier, on savait que les États-Unis avaient sanctionné un « haut responsable politique haïtien » pour des liens avec des activités terroristes menées par des gangs, mais Washington n’avait pas révélé son identité. Ce n’est que ce mardi 25 novembre, grâce à une enquête de l’Associated Press (AP), que le pays a appris qu’il s’agissait de Fritz Alphonse Jean, membre du Conseil présidentiel. Quelques heures plus tard, celui-ci convoquait la presse pour donner sa version des faits. Sauf qu’au lieu d’un discours rassurant, il a offert une humiliation nationale en plein écran.
Lors de son point de presse, Fritz Alphonse Jean a présenté une série de messages WhatsApp attribués à des diplomates américains et canadiens. Le ton de ces échanges n’a rien de diplomatique. Pas de courtoisie. Pas de façade protocolaire. Juste des ordres. Un ton de patron à subalterne. De propriétaire à employé.
Le Canada lui intime d’abandonner toute tentative de remplacer le Premier ministre Alix Didier Fils-Aimé. Les États-Unis évoquent des conséquences possibles « pour lui et sa famille » s’il persiste. Pas de consultation. Pas d’égalité entre États. Uniquement la voix du maître et celle du subordonné qui se justifie. Traduction libre : « Fais ce qu’on te dit, ou tu le paieras ».
Gouverner Haïti : une autorité sans pouvoir
Depuis des décennies, le pays accumule les solutions provisoires : gouvernements de transition, commissions ad hoc, présidents intérimaires, et désormais un Conseil présidentiel à neuf têtes, bricolé sous pression diplomatique. Quelle légitimité lorsqu’un simple message WhatsApp peut ruiner une initiative politique ? Où est la souveraineté quand un dirigeant haïtien tremble parce qu’une ambassade hausse le ton ?
Que les États-Unis et le Canada souhaitent maintenir le Premier ministre n’a rien de surprenant. Que la sanction tombe précisément au moment où son remplacement était envisagé n’est pas un hasard. Mais que tout cela soit accepté comme normal… voilà la tragédie haïtienne.
Un peuple sans chaînes… mais toujours esclave
Les révélations de Fritz Alphonse Jean ne montrent pas seulement une pression extérieure. Elles exposent le statut réel d’Haïti : un pays où la souveraineté est un concept cérémoniel, pas une réalité opérationnelle. Pas de chaînes visibles, mais des réflexes de soumission. Pas de coups de fouet, mais une tutelle qui s’exerce désormais via « un simple » message WhatsApp.
Cette situation fait douloureusement écho aux propos de Joverlein Moïse, fils de l’ancien président assassiné Jovenel Moïse, qui déclarait récemment que même si des élections sont organisées, « c’est Washington qui choisit le président d’Haïti ». Ses mots, considérés il y a quelques mois comme excessifs, semblent aujourd’hui terriblement lucides.
Le point de presse de Fritz Alphonse Jean n’a pas révélé un scandale. Il a simplement confirmé ce que tout le monde sait déjà, mais que personne n’ose dire ouvertement : Haïti ne choisit plus ses dirigeants. Haïti ne décide plus rien. Haïti exécute.
Une République dans les textes.
Un pantin dans la pratique.