
Depuis de nombreuses années, Haïti est confronté à des crises récurrentes, qu’elles soient d’ordre économique, politique ou environnemental, impactant de manière significative la vie quotidienne des habitants. Dans ce contexte difficile, un phénomène socioculturel émerge progressivement: la masturbation, qui reste peu abordée mais qui connaît une diffusion croissante.
De nombreux individus de diverses générations et catégories sociales trouvent dans cette pratique solitaire un sanctuaire, une échappatoire face aux réalités difficiles de leur vie quotidienne. Pour certains, elle représente un moyen de lutter contre le stress et l’anxiété engendrés par l’instabilité politique et économique chronique. Pour d’autres, c’est un acte de rébellion contre les normes sociales conservatrices persistantes au sein de la société haïtienne.
Pour Cassandra Félix, une habitante de la Bidonville de Cité Soleil, la masturbation est devenue une technique de gestion de la frustration et du stress quotidiens. « Lorsque les épreuves sont trop lourdes à supporter, c’est comme une respiration salvatrice. Cela me permet de m’évader pendant un court instant », confie-t-elle.
Dans cette bidonville ainsi que d’autres quartiers de Port-au-Prince, le danger de mort est toujours présent. Le soleil se lève et se couche au son des armes automatiques qui retentissent. Parfois contrainte de se cacher sous son lit, dans sa chambre, de peur d’être touchée par les balles assassines qui viennent s’égarer aux abords de sa maison.
La masturbation : un dernier recours
La situation d’Agnès Saint-Fleur, résidente de Delmas 24, est similaire à celle de Cassandra Félix. Cependant, Saint-Fleur éprouve en plus une nostalgie amoureuse. Sa partenaire vit à Carrefour. Ils se voyaient deux fois par semaine, mais la situation actuelle dans la région métropolitaine de Port-au-Prince crée une distance déchirante entre les deux amoureux.
« Nous utilisons Facetime et échangeons des sextos pour compenser le manque de proximité. Nous nous masturbons en imaginant être ensemble. Je ne peux pas prendre le risque de la voir en personne. Elle non plus, explique Saint-Fleur avec tristesse. Je crains de devenir dépendant à cette pratique. Je n’étais pas un fervent adepte », confie le jeune homme de 25 ans.
Jérôme Joseph pratique également le « Dieu seul me voit ».En raison de la crise socio-politique, il est contraint de travailler à distance. Cependant, Joseph passe la majeure partie de son temps sur des sites pour adultes, ce qui l’expose à des contenus pornographiques qui suscitent en lui le désir de se masturber.
« Quand je suis sur Internet, une simple photo m’excite et me pousse à consulter mes sites pornographiques préférés. Une fois sur le site, il m’est impossible de résister », explique Joseph.
Les défis liés à une telle pratique
Selon le psychologue Zacharie Claude, la pratique de l’auto-érotisme peut être interprétée comme une manifestation d’autonomisation individuelle, particulièrement dans un contexte où de nombreux individus se sentent démunis face aux multiples défis auxquels ils sont confrontés. Il s’agit d’une façon pour certains de retrouver un sentiment de maîtrise et de satisfaction personnelle dans un environnement souvent hostile. Ces constats sont illustrés par les cas de Cassandra Félix, Agnès Saint-Fleur et Jérôme Joseph, qui ne surprennent pas ce spécialiste, ancien étudiant de l’Université d’État d’Haïti.
Le psychologue met en garde contre les risques liés à une utilisation excessive de la masturbation comme moyen d’adaptation. Il souligne que celle-ci peut devenir compulsive et addictive, affectant négativement la santé mentale et les relations interpersonnelles. Il préconise donc de rechercher un équilibre sain et de recourir à d’autres formes de soutien et d’expression émotionnelle.
Cependant, bien que répandue, la masturbation demeure largement stigmatisée et tabou dans la société haïtienne. Les discussions à ce sujet sont rares, et ceux qui osent en parler risquent d’être jugés et exclus. Communément désignée sous le terme de « Dieu seul me voit » en Haïti cette pratique se fait souvent dans la stricte intimité.
En dépit des défis et des tabous, la masturbation demeure une réalité significative pour de nombreux Haïtiens, offrant à certains un moment de répit dans un pays confronté à plusieurs difficultés. Face aux crises persistantes, ce geste solitaire devient, pour certains, un acte de résistance et de survie, une façon de regagner le contrôle sur leur propre existence, ne serait-ce que pour un court instant.