Haute Cour de justice : Me Patrick Laurent dénonce un décret « juridiquement dangereux »
Invité au micro de Radio Télé Métropole, ce vendredi 26 décembre, l’avocat Patrick Laurent a livré une analyse juridique approfondie du décret portant sur la Haute Cour de justice. Il a mis en lumière un contentieux constitutionnel ancien, aujourd’hui aggravé par l’absence prolongée du Parlement. Si ce texte est présenté comme une réponse à une exigence internationale de longue date, plusieurs juristes alertent sur les risques d’impunité et de dérive politique qu’il comporte. De son côté, Me Samuel Madistin, président de la Fondation Je Klere, rejette catégoriquement le décret et annonce des actions contre les membres du Conseil présidentiel de transition (CPT).
Me Patrick Laurent rappelle que la Constitution haïtienne demeure pleinement en vigueur et encadre clairement la poursuite des grands commis de l’État. L’article 26 étend aux conseillers-présidents les règles applicables au président de la République pour les crimes et délits commis dans l’exercice de leurs fonctions. En principe, ces infractions relèvent exclusivement de la compétence de la Haute Cour de justice, excluant toute intervention des juridictions ordinaires.
La saisine automatique, au cœur du problème
Selon l’avocat, une évolution majeure réside dans le principe de la saisine automatique : toute juridiction judiciaire déjà saisie d’un dossier impliquant un haut responsable pour des faits liés à l’exercice de ses fonctions devient automatiquement incompétente au profit de la Haute Cour de justice. Or, ce mécanisme se heurte à une réalité institutionnelle majeure : la Haute Cour de justice n’est pas constituée, en raison de l’absence de Parlement. Ce vide juridique engendre des conséquences lourdes pour le fonctionnement de la justice.
Un blocage ancien, aggravé par les exigences internationales
Me Laurent inscrit ce débat dans une continuité historique remontant à 2006, avec l’arrêt de la Cour d’appel des Gonaïves dans l’affaire Yvon Neptune, qui avait reconnu l’incompétence des tribunaux ordinaires pour juger des actes liés à l’exercice des fonctions gouvernementales. En 2008, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a condamné l’État haïtien, l’enjoignant d’adopter une loi précisant l’organisation et le fonctionnement de la Haute Cour de justice. Quinze ans plus tard, cette exigence demeure insatisfaite.
Un décret juridiquement nécessaire, mais politiquement suspect
Tout en reconnaissant la nécessité juridique de combler ce vide institutionnel, Me Patrick Laurent souligne le caractère « suspect » de certaines dispositions du décret, notamment celles qui dessaisissent automatiquement les tribunaux ordinaires au profit d’une institution inexistante. Dans un contexte marqué par des accusations récurrentes de corruption et de dévoiement de la justice, ce dispositif pourrait, selon lui, renforcer l’impunité plutôt que consolider l’État de droit.
L’accusation politique paralysée par l’absence du Parlement
La Constitution confie à la Chambre des députés le pouvoir de mettre en accusation les grands commis de l’État, tandis que le Sénat est chargé de constituer la Haute Cour de justice. En l’absence d’un Parlement fonctionnel, ces mécanismes sont inopérants. Me Laurent rappelle que cette dimension politique de la justice n’est pas propre à Haïti, évoquant notamment le cas des États-Unis, où l’absence de majorité qualifiée a, à plusieurs reprises, empêché toute condamnation malgré des mises en accusation retentissantes.
Me Samuel Madistin charge frontalement le CPT
Pour Me Samuel Madistin, président de la Fondation Je Klere, le décret sur la Haute Cour de justice ne constitue qu’un simple acte administratif, dépourvu de toute valeur législative. Il appelle l’UCREF et l’ULCC à ouvrir des enquêtes sur les membres du Conseil présidentiel de transition, qu’il accuse de « vagabondage » et de pratiques corruptives. Annonçant le dépôt imminent d’une plainte contre l’ensemble des membres du CPT, Me Madistin affirme vouloir faire la lumière sur ce qu’il considère comme des manœuvres de dissimulation, qualifiant le pouvoir actuel de « l’un des plus corrompus que le pays ait jamais connus ».