À l’approche du 7 février 2026, un décret controversé renforce l’immunité des hauts responsables
À quelques semaines de l’échéance politique du 7 février 2026, le Conseil présidentiel de transition (CPT) a publié un décret majeur portant sur l’organisation de la Haute Cour de justice. Présenté par l’exécutif comme un instrument de lutte contre l’impunité, le texte suscite toutefois de vives inquiétudes. Pour de nombreux observateurs, il instaure un mécanisme juridique complexe qui, en confiant le jugement des grands commis de l’État à un Sénat aujourd’hui inexistant, écarte de fait les tribunaux ordinaires des dossiers de corruption et de malversations présumées commises durant la transition.
Publié dans l’édition spéciale n° 68 du journal officiel Le Moniteur, le décret fixe les modalités de poursuite contre les plus hauts responsables de l’État : membres du CPT, Premier ministre, ministres et hauts magistrats. Le texte est explicite : pour tout crime ou délit commis « dans l’exercice de leurs fonctions », ces personnalités relèvent exclusivement de la compétence de la Haute Cour de justice (articles 2 et 13).
Cette disposition dessaisit d’office les juridictions de droit commun de toute instruction visant ces responsables. Le décret va plus loin en enjoignant les commissaires du gouvernement à renoncer à toute poursuite ordinaire dès lors que les faits sont liés aux fonctions officielles, transférant ainsi l’action judiciaire vers une procédure parlementaire particulièrement lourde et contraignante.
Une procédure sous étroit contrôle politique
Le cœur de la controverse réside dans les modalités de mise en accusation et de jugement. Pour qu’un haut responsable soit traduit en justice, une mise en accusation par la Chambre des députés, à la majorité des deux tiers, est requise, suivie d’un procès devant le Sénat constitué en Haute Cour de justice (articles 5 et 6).
Or, dans un contexte marqué par l’inexistence du Parlement, l’application effective de ce décret semble reporter toute perspective de jugement à une échéance indéterminée, conditionnée à l’organisation d’élections et à l’installation d’une nouvelle législature. Certes, le texte prévoit que la Chambre des députés peut s’auto-saisir sur la base de rapports de l’ULCC ou de l’UCREF, mais ceux-ci doivent être préalablement validés par le Conseil d’administration de ces institutions et transmis par le ministre de la Justice (article 11), introduisant ainsi un filtre politique supplémentaire.
L’extension des immunités aux conseillers-présidents
L’article 26 du décret apparaît comme l’un des plus significatifs dans le contexte actuel. Il étend aux membres du Conseil présidentiel de transition l’ensemble des immunités et privilèges de juridiction reconnus au président de la République.
En cas de déclaration de culpabilité, les sanctions prévues se limitent essentiellement à la destitution et à une interdiction d’exercer une fonction publique pour une durée de cinq à quinze ans (article 23). La saisine des juridictions ordinaires à des fins correctionnelles ou criminelles ne peut intervenir qu’après ce verdict politique, instituant ainsi un double degré de juridiction que ses détracteurs assimilent à un bouclier juridique durable.
Alors que la pression s’accentue en faveur d’une reddition de comptes sur la gestion de la transition, ce cadre légal fixe clairement les règles du jeu : pour l’heure, le jugement des gouvernants demeure une affaire de pairs.